Cambodge - 2004

J’ai acheté un billet pour aller passer cinq mois en Asie du Sud-Est. Je veux trouver l’inspiration pour un prochain livre, sans savoir si ce sera un récit de voyage ou un roman.

Mais encore faut-il que je vive là-bas quelque chose d’intéressant à raconter…

 

Dans les journaux, on parle d’une nouvelle grippe, le SRAS, qui sévit en Chine principalement. Je suis le seul dans l’avion vers la Thaïlande qui ne porte pas de masque. Les Asiatiques connaissent mieux que moi les mesures sanitaires appropriées. Comme ils se protègent tous du virus, ils me protègent par la bande.

 

Des caméras infrarouges nous filment à l’aéroport de Bangkok. On passe sans ralentir et le voyage commence. En quelques mois, je surfe d’un pays à l’autre dans ce bain culturel tellement riche et enrichissant que j’écrirai finalement un roman et un récit de voyage.

 

Rendu au Cambodge, conséquence de la maladie sur le tourisme, j’ai les temples d’Angkor Wat presque à moi seul. Je contemple les bas-reliefs extraordinaires : tous ces détails qui font que le lieu est considéré comme l’un des monuments les plus inspirés jamais conçu par l’esprit humain.

 

Des nuages à l’horizon annoncent la pluie. Je retourne à mon vélo, je ne veux pas que ma caméra se fasse mouiller. Je range toutes mes possessions dans un sac de plastique déposé dans le panier avant de mon vélo.

 

Sur la route du retour, un scooter me suit de près. Pendant une manœuvre de dépassement, le conducteur attrape habilement le sac contentant mon passeport, mes cartes, mes chèques de voyage, tout mon argent… et mon billet d’avion. Oui, à l’époque on exigeait encore la copie papier d’un billet.

 

« En cas de vol ou de perte, rien de plus simple ! Où que vous soyez dans le monde, vous n’avez qu’à appeler à frais virés l’un de nos préposés, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »

 

Oh, qu’elle est belle la vie décrite dans les petits dépliants. Mais en vérité, je vous le dis, les appels à frais virés n’existent pas au Cambodge.

 

Pour obtenir une nouvelle carte de crédit, je dois disposer d’une adresse fixe pendant plus d’une semaine.

 

Je pourrais me louer une chambre si j’arrive à obtenir de nouveaux chèques de voyage…

 

— Désolé, pas de chèques de voyage sans passeport.

— Mais j’ai besoin d’argent pour payer un passeport !

— Pas de chèques de voyage sans passeport…

 

Au consulat canadien, qui est en fait le garage aménagé de l’ambassade australienne, on m’apprend que les délais pour recevoir un nouveau passeport sont de quatre semaines. Bon. Sans passeport, pas de sortie possible du pays.

 

Sans le sou, mais avec beaucoup de temps, je me dirige vers la plage. Tant qu’à dormir à la belle étoile, autant que ce soit sur le sable, au son des vagues.

 

Et là, la magie des voyages embarque. Cette magie des hasards parfaits qui me rend addict, qui me baigne dans le sentiment euphorisant d’être à la bonne place au bon moment. Je rencontre entre deux vagues un Norvégien qui, après avoir entendu mon histoire, m’engage comme « créateur d’ambiance » à son bar sur la plage. Je dois m’occuper de l’animation, mettre de la bonne musique et entretenir de joyeuses conversations avec les clients. Jaser voyage autour d’une bière, avec des aventuriers des quatre coins du globe, c’est une tâche que j’ajouterais volontiers à mon C.V. En échange de ce travail ardu, je suis logé, nourri et j’ai un accès open bar. Et quand le patron est content, je reçois en prime de l’argent de poche.

 

De la pire épreuve de voyage que j’ai vécue – le vol de tout ce que croyais important – est né ce cadeau magistral, que je n’aurais jamais pu connaître autrement. Certainement l’un des plus beaux souvenirs de ma vie : être barman au Unkle Bob’s.

 

Probablement qu’un Cambodgien qui aurait tout perdu n’aurait pas eu la chance d’être engagé dans ce bar. Je suis tout à fait conscient de ce grand privilège qu’offre la vie aux voyageurs occidentaux. Mais au lieu d’en avoir honte, je veux m’y plonger tout entier. Reconnaissant, conscient et émerveillé.

 

 

Découvrez le livre que j’ai publié suite à ce voyage en cliquant ICI.